GIAP

Le GIAP est le programme jeunesse de CACTUS qui vise à intervenir auprès des jeunes en situation de précarité qui fréquentent les quartiers centraux de Montréal

Le GIAP est une équipe de plusieurs personnes paires aidantes; des jeunes ayant connu, à un moment ou un autre, l’expérience de la rue.

La mission du groupe consiste à prévenir la transmission du VIH, de l’hépatite C et des autres infections transmissibles sexuellement et par le sang (ITSS), tout en réduisant les impacts négatifs de la consommation de drogues et du mode de vie de la rue.

Un peu d’histoire

Au milieu des années 1990, le nombre de jeunes de la rue ne cesse de grandir; la consommation par injection fait rage; et le VIH et le VHC font craindre d’énormes ravages parmi les jeunes du centre-ville de Montréal. Des équipes spécialisées composées de personnes professionnelles de la santé sont donc mises sur pied afin d’intervenir auprès de cette population particulière. Malgré leurs efforts, les équipes professionnelles et intervenantes peinent à rejoindre les jeunes vivant dans la rue.

Le GIAP a été mis en place afin de rejoindre les jeunes souffrant le plus de désaffiliation et de méfiance à l’égard de l’intervention traditionnelle, et qui présentent des comportements à risque pour leur santé.

L’intervention alternative par les paires aidantes/pairs aidants

Le GIAP privilégie une approche d’« empowerment » (autonomisation), autant individuelle que collective. Cela se reflète, notamment, par la gestion participative qui qualifie son fonctionnement, et dans la place accordée aux paires aidantes/pairs aidants. L’approche d’intervention par les pairs consiste à faire bénéficier les jeunes en situation de précarité de l’expérience de vie d’ex-jeunes de la rue..

Chaque paire aidante/pair aidant effectue trois (3) journées de travail chez CACTUS Montréal ou au sein d’un des quatre (4) organismes partenaires. Les membres de l’équipe offrent des interventions personnalisées et adaptées par le biais d’accompagnement, d’activités et de discussions permettant de créer des liens privilégiés avec les jeunes les plus vulnérables.

Qui sont les paires aidantes/pairs aidants?

Les personnes paires aidantes du GIAP représentent toute une communauté. Ces jeunes participent à des colloques, des tables de concertation et des comités; offrent des présentations aux divers protagonistes de la société; partagent une vision différente et représentative de leur milieu afin de démystifier les réalités associées au mode de vie de la rue et d’enrayer les préjugés qui y sont associés.

  • Des jeunes âgés de 18 à 30 ans
  • Qui ont vécu en situation de grande précarité et ont développé un certain recul face à la réalité de la rue
  • Qui possèdent la volonté d’utiliser leur expérience afin de soutenir les jeunes dans leurs démarches

Formation pour les personnes professionnelles intervenant auprès des jeunes

Les paires aidantes/pairs aidants du GIAP animent régulièrement des formations afin de démystifier la réalité des jeunes en situation de grande précarité auprès de personnes professionnelles de la santé et des services sociaux, ou encore auprès de personnes étudiantes susceptibles d’intervenir auprès de populations marginalisées de par leurs domaines d’études.

Formation « Démystification des réalités des jeunes de la rue »

Voir les détails de la formation

Cette formation s’adresse à toute personne appelée à intervenir auprès de jeunes en situation de grande précarité, telles les personnes professionnelles de la santé, la police, le service incendie, etc.

À partir des expériences des paires aidantes/pairs aidants, la présentation, très interactive, aborde les facteurs de risques et les réalités dans lesquelles se trouvent les jeunes de la rue ou en situation de grande précarité, dans une optique de démystification.

La présentation permet de mieux comprendre les problématiques reliées à la rue de façon à mieux intervenir auprès des jeunes.

Formation « Les drogues et la rue : une vision alternative en réduction des méfaits »

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Cette formation s’adresse aux personnes intervenantes et professionnelles devant intervenir auprès de personnes qui consomment des drogues et qui sont issues du milieu de la rue.

À partir du savoir expérientiel des paires aidantes/pairs aidants, cette formation leur permet de se familiariser davantage avec les tendances actuelles de consommation de substances psychoactives, au mode de vie de la rue et de l’approche de réduction des méfaits.

Plus précisément, cette formation aborde les principales substances en vogue à Montréal; les impacts de la consommation sur les comportements; les mélanges de drogues et médicaments et risques associés; le sevrage et la prévention de la rechute. D’une durée de deux (2) heures, cette formation est interactive et permet la discussion.

L’implication communautaire

Afin de prendre part activement à la compréhension de l’évolution du milieu de la rue et à la détermination des moyens les mieux adaptés pour répondre aux besoins du milieu, le GIAP est impliqué dans plusieurs activités et concertations communautaires.

  • L’équipe du GIAP est représentée à la Table de concertation Jeunesse-Itinérance (regroupement d’organismes impliqués auprès des jeunes en situation de grande précarité); et à la Table de concertation du Faubourg Saint-Laurent (regroupement de divers protagonistes) afin de favoriser la communication et les échanges autour d’enjeux de sécurité du quartier.
  • Le GIAP est aussi mobilisé pour la recherche de solutions alternatives à la judiciarisation des personnes itinérantes et prend activement part aux activités de l’Opération Droits Devants.
  • L’équipe s’implique aussi à la Nuit des sans-abri de Montréal afin de sensibiliser le grand public aux réalités de l’itinérance.
  • Dans le cadre du Festival d’expression de la rue, le GIAP organise annuellement une discussion citoyenne qui rassemble divers protagonistes du centre-ville autour du thème de la cohabitation sociale.

La diffusion de l’approche d’intervention par les paires/pairs

Les paires aidantes/pairs aidants du GIAP possèdent l’expertise en approche d’intervention par les paires/pairs, du milieu de la rue et des réalités qui peuvent être vécues par les jeunes en situation de grande précarité. À ce titre, l’équipe du GIAP est régulièrement interpellée pour partager ses expériences, son savoir, son approche d’intervention et ce, auprès de divers publics. Par leur importante présence au sein des ressources partenaires du GIAP, les personnes paires aidantes font la promotion de l’intervention par les paires/pairs auprès des personnes intervenantes et des directions des organismes.

L’implication dans différences instances de concertation offre une autre occasion au GIAP de promouvoir l’intervention par les paires/pairs. Aussi, depuis les origines du projet en 1993, le GIAP a toujours étroitement collaboré avec le milieu de la recherche universitaire et le fait encore régulièrement. Cela a d’ailleurs fortement contribué à la reconnaissance de l’approche d’intervention par les paires/pairs dans le milieu de l’intervention. L’originalité et l’innovation dont fait preuve le projet ne cessent de susciter l’intérêt des chercheurs en sciences sociales.

Recherches et publications

Au fil des ans le GIAP a collaboré à divers projets de recherche et publications médiatiques. Vous trouverez les liens ci-dessous.

SECTION EN CONSTRUCTION

Restez à l’affût pour les mises à jour.

L’expérience des jeunes parmi les plus marginalisé.e.s :  documenter et comprendre une situation exacerbée par la crise sanitaire

Une recherche-action réalisée par le GIAP, Jacinthe Rivard, Martin Goyette et Céline Bellot (2021-2022)

Voir les résultats de la recherche

L’expérience des jeunes parmi les plus marginalisé.e.s :

documenter et comprendre une situation exacerbée par la crise sanitaire

Une recherche-action réalisée par le GIAP, Jacinthe Rivard, Martin Goyette et Céline Bellot (2021-2022)

 

Les pair-aidant.e.s

 

Les pairs-aidant.e.s du GIAP sont des jeunes âgés entre 18 et 30 ans qui utilisent leur expérience de vie pour aider d’autres jeunes vivant une situation de précarité et d’itinérance. Ils offrent des ressources, de l’accompagnement, distribuent du matériel de consommation et dispensent des formations pour éduquer, dé-stigmatiser la consommation de substances psychoactives et l’itinérance (Bellot, Rivard, Mercier et al., 2006), en privilégiant les approches de réduction des méfaits et d’empowerment. Fort de ses 25 ans d’expertise, le GIAP – le programme jeunesse de l’organisme CACTUS Montréal – s’inscrit dans une approche « par et pour » les jeunes marginalisé.e.s. Il a démontré à plusieurs égards et en nombre d’occasions que l’intervention par les pairs rejoint des jeunes parmi les plus désaffilié.e.s et qu’il a des effets sur elles.eux qui vont bien au-delà de l’occupationnel (Bellot, Rivard, 2012; Greissler, Rivard, Bellot, 2013; Ménard-Dunn, 2019; Co-chercheur.e. pairs-aidant.e.s et al., 2018).

 

La problématique

 

Le phénomène des jeunes en situation d’itinérance, de précarité et de vulnérabilité est en profonde transformation. Ces personnes sont beaucoup moins visibles que dans les décennies précédentes (Rivard et al., 2019, St-Jacques, 2016) Ils.elles ne s’identifient pas toujours à une situation d’itinérance et se trouvent souvent dans ses formes cachées (Gaetz et al., 2014 ; MacDonald et al., 2018 ; Rivard et al., 2018; Rivard et al., 2019). Si la pandémie a mis en évidence les inégalités sociales, elle les a aussi accrues (Chung dans Lasalle, 2020; Leblanc et al., 2020) et vulnérabilisé davantage certain.e.s jeunes qui sont, on l’a dit, de plus en plus difficiles à identifier et à rejoindre.

 

On le sait, les jeunes sont nombreux et nombreuses à sortir des centres jeunesse sans avoir été préparé.e.s à ce qui les attend (Goyette et al., 2022), alors que les conditions actuelles pour une vie décente sont de plus en plus inatteignables. Présentant des profils très variés (Gaetz, 2014, MacDonald et al., 2020), les besoins des jeunes le seront tout autant et diverses recherches, incluant celle-ci, s’y sont penchées, comme en témoignent les prochaines lignes.

 

Or, avant même la pandémie, le GIAP a observé que ces jeunes faisaient face à des difficultés d’accès aux services de santé et services sociaux et à un accroissement de certaines problématiques : consommation de drogues; surdoses et problèmes de santé mentale, soulevés, par ailleurs, par plusieurs chercheur.e.s (Kidd, Gaetz et al., 2021, MacDonald et al., 2020). Le groupe de pairs a initié cette recherche pour comprendre et documenter ces situations, anticiper des mesures à mettre en place et ainsi mieux faire face à un univers d’intervention en mouvance.

 

Les objectifs de la recherche

 

La recherche participative visait à comprendre et à documenter ce qui était est en train de se passer en pleine pandémie : les situations qui faisaient obstacle dans la vie des jeunes ou qui bouleversaient leur réalité. Ces informations privilégiées permettraient au GIAP et à ses membres :

  • de poursuivre leurs activités en rejoignant mieux les jeunes dans toute leur diversité, qu’elle soit expérientielle, identitaire ou géographique;
  • d’identifier des leviers d’intervention adaptés, à court, moyen et long termes;
  • de mobiliser largement les résultats.

 

La méthodologie & le rôle des pairs-aidant.e.s

 

La recherche est participative, proche de la recherche-action. Il était d’abord prévu que les pairs – à titre de co-chercheur.e.s –  réalisent des entretiens semi-directifs avec les jeunes qu’ils.elles allaient rencontrer dans le cadre de leur travail. La pandémie nous a obligé à revoir notre stratégie. D’un commun accord, nous nous sommes ajusté.e.s aux aléas de la crise sanitaire et ce sont les pairs mêmes qui sont devenu.e.s à la fois co-chercheur.e.s et informateurs et informatrices-clés, les jeunes étant devenu.e.s encore plus difficiles à rejoindre en cette période insolite. Comme plusieurs autres services, l’équipe des pairs a accusé le dur coup de la crise sanitaire et s’est trouvée en effectifs réduits, notamment à la suite du départ de la coordination et de l’agent de soutien à l’intervention, en plus de voir fermer des lieux fixes auxquels les pairs étaient rattaché.e.s un certain nombre d’heures par semaine. Incontournable aussi la fatigue ressentie face à cette jeunesse qui nous échappe et à une charge de travail devenue indéfinissable, lourde et complexe. L’ensemble de ces écueils expliquant, par ailleurs, le délai à rendre public les résultats de cette recherche. Mais celle-ci s’est poursuivie malgré tout.

 

Une fois par mois, le GIAP a réservé à la recherche une heure de sa rencontre d’équipe, chacune ayant été enregistrée, en présence ou en virtuel, dans le strict respect des directives de la santé publique, pour un total de 25 rencontres, les dernières étapes nécessitant de se voir plus souvent. Prenant la forme d’une discussion entre collègues, les pairs ont partagé ce qu’ils.elles voyaient et entendaient sur leur terrain respectif. Après quelques rencontres qui ne généraient plus de nouvelles informations, les pairs ont contribué aux deux principaux niveaux d’analyse, d’abord en identifiant les thématiques émergentes et en y rassemblant les données correspondantes. Dans un deuxième temps, c’est la récurrence des thèmes, la puissance de certaines informations et les citations de jeunes qui se sont imposées comme principaux résultats. Chacune de ces étapes a donné lieu à de riches échanges, permettant de clarifier certains résultats, de revoir les valeurs de leur approche, les enjeux de leurs pratiques, auxquels les pairs nouvellement engagés.e.s ont participé. Cela fait, plusieurs autres rencontres se sont tenues pour identifier les outils de mobilisation des connaissances et les messages à diffuser. Il était important pour l’équipe des co-chercheur.e.s de rejoindre un public large, notamment les jeunes, les praticien.ne.s et les gestionnaires.

 

 

Malgré une situation contextuelle difficile – rappelons la fermeture de certains lieux fixes auxquels les pairs étaient rattaché.e.s, les horaires changeant souvent à la dernière minute, l’impossibilité d’accueillir des partenaires externes – le GIAP a développé de nouvelles collaborations, notamment auprès de ressources d’hébergement d’urgence et en travail de rue, maintenu sa fenêtre de services à PLAISIIRS, (centre de jour de CACTUS Montréal), pour y distribuer matériel de prévention, breuvages et repas et ce à raison d’une fois semaine, en plus d’initier des présences dans la rue en équipe de deux pair-aidant.e.s, cela dans les espaces publics et autour des organismes locaux. Toutes ces activités visaient à se faire voir par les jeunes et à poursuivre les contacts avec elles.eux. Au GIAP comme ailleurs, ces jeunes difficiles à rejoindre, sont particulièrement vulnérables aux conséquences des mesures sanitaires. Celles.ceux qui le peuvent se cachent, d’autres mettent sur pause leurs projets d’émancipation. C’est presque toute une génération de jeunes qui aura perdu, ou jamais pris l’habitude de se déplacer pour recourir aux services qui leur sont dédiés.

 

Les données de la recherche qui s’imposent

 

Cette recherche a mis en évidence ce que la littérature avance déjà depuis plusieurs années. Les jeunes disent vouloir des services centrés davantage sur l’accueil que sur l’intervention, ouverts les soirs et les fins de semaine, plus de drop-in ou de lieux pour chiller, des garderies pour les animaux de compagnie à proximité des services d’hébergement  d’urgence (SHU) (Exeko, 2016) et aussi des activités hautes en sensations, recherchées et appréciées : escalade ; parachute ; cirque (Rivard et al., 2018). Les 26-30 ans et + qui n’ont plus accès aux services jeunesse, sont condamné.e.s aux services adultes, où souvent elles.ils ne veulent pas aller – particulièrement lorsqu’il s’agit des SHU qui imposent une proximité avec le monde adulte de l’itinérance dans laquelle ils.elles peinent à s’identifier. Ces jeunes aimeraient des ressources intermédiaires adaptées, des programmes d’emplois ajustés à leurs réalités, un soutien à l’employabilité (Exeko, 2016), voire à la pré-employabilité (Rivard et al., 2018). Ils.elles demandent la construction de plus de logements sociaux en ville et un support à la vie en appartement, synonyme de beaucoup de responsabilités nouvelles et de stress (Co-chercheur.e.s pairs-aidant.e.s et al, 2018; Rivard et al., 2018; Rivard et al., 2019). Finalement, les jeunes souhaitent être impliqué.e.s dans les questions qui les concernent sur le logement, les services d’urgence, avec la Ville et avec les SHU (Exeko, 2016). Pour les membres du GIAP d’ailleurs, des personnalités publique et politique telles que Manon Massé, proche des jeunes et des ressources qui leur sont dédiées, encourage la jeunesse à s’exprimer et favorise l’émancipation citoyenne et le positionnement politique. Les pairs y sont sensibles.

Malgré des conditions difficiles, alors que le soutien des pairs pour poursuivre leurs activités se trouvait réduit – à ce jour manque toujours une personne pour combler le poste d’agent de soutien à l’intervention – cette recherche est devenue une sorte de sas d’expression où les pairs pouvaient se poser, se raconter et parler de leur pratique.

 

Pour les pairs, une réflexion s’impose en amont pour déterminer les approches à privilégier et les pratiques prometteuses. Ils.elles ont identifié deux éléments incontournables: le changement de paradigme et la posture.

 

Changement de paradigme

 

La démarche a mis en exergue la grande mouvance du phénomène des jeunes en situation de précarité ou d’itinérance. Il nous faut maintenant savoir reconnaitre ce qui n’existe plus et s’ajuster à ce qui est encore difficile à saisir. La consommation de drogues très addictives, la violence et l’adhésion à des groupes criminels, semblent avoir rempli un vide laissé par la pandémie. La violence est omniprésente dans la rue et les jeunes les plus vulnérables en souffrent, en même temps qu’ils,elles en sont parfois les protagonistes. Rien de nouveau ici. Or, cette violence a pris de nouvelles tournures. Exit les jeunes punks visibles, contestateur.e.s et solidaires ! Repoussé.e.s des espaces publiques, souvent à grands coups de répression policière (Bellot et al., 2022), ils.elles sont continument remplacé.e.s par d’autres jeunes, qui semblent avoir perdu la confiance et le respect envers les organismes dont la mission est de leur venir en aide. Les observations de pairs indiquent que plutôt de considérer les intervenant.e.s de ces organismes comme des « modèles » adultes inspirants, ces jeunes leur font vivre des situations de tension qui créent insécurité et peur, provoquant à leur tour encore plus de mesures de sécurité. Ces jeunes, trop souvent très jeunes, isolé.e.s ou en tout cas peu lié.e.s aux autres, sont difficiles à rejoindre et à catégoriser. Est-ce la fin des catégories ?  Et comment agir alors sans ces catégories ?

 

Changement de posture

 

Cette inquiétante réalité, jumelée aux trois crises qui s’étendent maintenant bien au-delà des quartiers centraux – logement, surdoses et santé mentale (Massé dans Gerbet, 2023b) – pose des questions de fond sur les approches actuelles. Les pairs proposent des avenues qui doivent être réfléchies de manière intersectorielle, appelant à des changements à des niveaux pluriels : politique; institutionnel; communautaire et individuel. Pourtant, ces évidences sont déjà bien connues des acteurs et actrices du réseau de la jeunesse mais elles peinent encore tellement à s’incarner dans la gestion globale des services et, inévitablement, dans les gestes au quotidien. Les causes multifactorielles semblent avoir un effet paralysant sur les acteurs et actrices que nous sommes, alors que les jeunes sont les premier.e.s à en payer le prix, parfois de leur vie, plus souvent de l’état de leur santé physique ou mentale, fragilisé à jamais. « Ramener les jeunes à la réalité » comme on l’entend souvent mérite qu’on y réfléchisse : quelle réalité ? La nôtre ? Celle qui ne fonctionne pas ? Celle où les droits humains sont de plus en plus bafoués ?

 

Un changement de posture donc ! Pas d’approche toute faite ! Une réflexion commune et une adéquation créative à nos milieux respectifs et l’implication des jeunes dans les choix et décisions qui les concernent.

 

Et puis, les rencontres centrées sur l’expertise au quotidien des pairs, ont permis des réflexions critiques sur les thèmes suivants :

 

Qualité de vie et bien-être – Sont des enjeux majeurs tant pour les pairs que pour les jeunes qu’ils.elles côtoient dans le cadre de leur travail. Considérant les contextes fragilisants qui caractérisent nos villes – individualité et isolement, circulation de drogues mortelles, recrutement pour le travail du sexe ou par des groupes criminels, traite des personnes – cette quête d’équilibre n’est pas nouvelle pour les pairs qui ont l’habitude de composer avec les paradoxes (Bellot et al. 2006). La réflexion s’est installée en toile de fond, tendant vers la globalité de l’intervention davantage que sur une intervention spécialisée, cela évidemment selon le type de problématique mais, il faut le constater, les jeunes en grand besoin ne présentent que très rarement un seul problème et leur situation ne peut logiquement trouver résolution en une seule rencontre. Celle-ci s’avère alors déterminante dans la poursuite ou non du contact.

 

Pratique professionnelle et approches prometteuses – Considérant la profonde transformation du phénomène des jeunes en situation d’itinérance, de précarité et de vulnérabilité et la difficulté à les rejoindre, les pairs se demandent s’il faut continuer à mettre des efforts à les identifier, à les catégoriser et, en quelque sorte, à les profiler ? Ne faut-il pas plutôt tendre vers l’égalité des chances en offrant des services globaux et inclusifs à tous et toutes ? Pendant la pandémie, le GIAP a d’ailleurs mis en place un drop in à l’intérieur de ses murs, spécifiquement dédié aux jeunes, à tous les jeunes. Ouvert à raison d’un soir semaine et conduit par les pairs-aidant.e.s, on y retrouvait des activités ludiques (matériel d’art, guitare, jeux de société, jeux vidéo), l’accès à des services utilitaires (douche, laveuse/sécheuse, ordinateurs), un repas de type familial servi et partagé ensemble autour d’une grande table, incluant une option végane et la présence de travailleuses et travailleurs de rue et d’intervenantes et intervenants jeunesse des organismes du quartier. Le tout dans le but de faciliter la création de liens de confiance.

 

En termes d’approches prometteuses, certaines mesures suscitent un grand intérêt chez les pairs du GIAP :

 

Le travail de proximité (Outreach, travail de milieu, pair-aidance, etc.) fait ses preuves (Paumier, 2017; Doré et al., 2022), il souffre même actuellement d’un excès de popularité : tout le monde veut se rapprocher du terrain et des jeunes (St-Amant, 2001). Les enjeux sont nombreux, notamment, la multiplication des services et des nouveaux visages, des approches et des personnes parfois plus ou moins adaptées, pouvant créer de la confusion chez les jeunes ou pire, perturber les espaces de confiance déjà établis avec les travailleurs et travailleuses de terrain qui s’investissent dans le milieu depuis longtemps. Laissons le travail de proximité aux organismes experts qui savent être au plus proche des jeunes, par exemple pour celles.ceux qui n’utilisent pas les services et créons plutôt des partenariats et des collaborations avec ces organisations visant à améliorer leurs conditions de travail et à développer des services qui répondent de mieux en mieux aux jeunes. Par ailleurs, l’implication des jeunes de milieux et de populations diversifiés favorise la saisie d’un portrait sensible aux réalités changeantes. S’il est vrai que certain.e.s jeunes sont difficiles à recruter, par exemple pour du travail de proximité, même au sein de programmes communautaires, il faudra sortir des cadres traditionnels et trouver des chemins pour gagner la confiance et le respect de ces jeunes les moins accessibles, afin de leur offrir des espaces de parole et d’implication volontaires face aux problématiques qui les concernent et aux solutions qui leur apparaissent souhaitables.

L’appropriation par les intervenant.e.s de pratiques souples et flexibles en termes d’horaires – sortir du 09h-16h du lundi au vendredi –; de médiums de communication – recourir à Internet (textos, Facebook, etc.) –; de lieux de rendez-vous – par exemple se rapprocher du domicile des jeunes (parc, petit casse-croûte ou autres lieux discrets); peuvent favoriser une réponse rapide au moment où le besoin est exprimé.

S’il est vrai qu’il faut rejoindre les jeunes là où ils sont, il faudrait aussi que les institutions ouvrent leur porte à celles.ceux qui œuvrent à créer des passerelles entre les jeunes et les services publics. De tels partenariats iraient dans le sens contraire du travail en silo et contribueraient à l’effort d’humanisation des services (Gouvernement du Québec, 2021; Fontaine et al., 2022). Les centres jeunesse, écoles et tout autre lieu rassemblant des jeunes bénéficieraient du développement de collaborations avec des travailleurs et travailleuses de proximité pour assurer une présence et un soutien aux approches et forme diversifiées, à la mesure des besoins des jeunes.

Les jeunes demandent des centres de crise ouverts au moment des crises (24h/24), des centres de dégrisement où ils ne seront pas refusé.e.s ou banni.e.s pour leur consommation et des espaces où se poser en toute sécurité. Ces lieux peuvent parfaitement s’annexer à des ressources existantes, ce qui permettrait un accès à plus d’un service au même endroit.

Enfin, le résultat des réflexions critiques issues de cette démarche de recherche sera partagé pour alerter les instances décisionnelles et convier le milieu de l’intervention à une vaste réflexion sur les approches et pratiques à réviser ou à développer, en adéquation avec la réalité et les besoins actuels des jeunes.

 

Les outils de diffusion des connaissances

 

Pour initier et stimuler cette réflexion partagée autour d’un changement de posture, ou contribuer à maintenir des échanges déjà entrepris, le GIAP a développé des outils visant à rejoindre un public large via les réseaux respectifs des co-chercheur.e.s  et de Cactus Montréal : le milieu universitaire; les institutions subventionnaires (fédérales, provinciales et municipales) et les organismes partenaires et autres fournisseurs de services dédiés aux jeunes, seront rejoints. D’autres activités de diffusion ont été réalisées ou sont en cours de réalisation : présence du GIAP à trois séminaires sur la paire-aidance (2021-2022); participation du GIAP à l’École d’été Enjeux et pratiques en itinérance (2021-2022-2023) et la réalisation par le GIAP et ses membres d’une trousse d’implantation de la paire-aidance, qui porte des réflexions issues de la recherche, conçue pour les besoins du MSSS et son nouveau programme Aire Ouverte. Puis, directement liés à la présente recherche, les trois outils de diffusion suivants (recto // verso), créés par l’équipe des pairs et graphisés par l’artiste en arts visuels Valérie Gariépy :

  • Pour les jeunes, des auto-collants :

 

Aucun.e jeune laissé.e derrière // No youth left behind

 

Peu importe sa personnalité, ses origines, sa couleur, ses caractéristiques, son statut d’immigration, ses comportements ou ses problèmes de santé… Aucune ressource, aucun service ne devrait laisser sa porte fermée à un.e jeune qui demande de l’aide. Il faut créer les espaces qui favorisent la reconnaissance et l’appréciation de cette opportunité d’intervention qui se présente à nous. En outre, nous avons pris connaissance de l’importance pour les jeunes du langage épicène.

 

  • Pour les praticiens, gestionnaires, chercheur.e.s et grand public, trois signets distincts :

 

Hébergement jeunesse… Un privilège? // Toute demande mérite une réponse à échelle humaine *

 

Les services d’hébergement d’urgence ou à court et moyen termes, les logements sociaux à prix abordable et les ressources humaines pour soutenir les jeunes à trouver, maintenir voire quitter un lieu d’habitation, manquent cruellement (Leblanc et al., 2020). Jeunes en situation d’itinérance cachée ou une jeunesse qui cherche un espace à soi ? Les mesures de sécurité qui s’intensifient, certaines ressources, certes contraintes par des conditions écrasantes, sont de plus en plus sélectives et refusent ou bannissent des jeunes pour leurs comportements, leur consommation ou autres raisons, alors que c’est justement là où l’intervention est requise (Rivard et al., 2019). Alors quel espoir pour les jeunes de s’en sortir ? On l’a évoqué plus haut, les jeunes veulent des services accessibles au moment où ils en ont besoin et leurs besoins se réduisent rarement à une seule chose: ils.elles ont faim; ne savent pas où se loger; traînent un mal de tête depuis plusieurs jours; une blessure qui ne guérit pas; pensent à réduire leur consommation de drogues mais ne savent pas comment faire; ont vu plusieurs de leurs ami.e.s en surdose, certains en sont morts. Comment les soutenir ? Leur redonner un peu de confiance et le goût de quelque chose ? Actuellement, chaque problématique trouvera habituellement réponse à des endroits et horaires différents, auprès de personnes différentes, chacune avec son approche et sa part d’exigences.

 

Il faut que tu sois sorti.e de la rue avant d’avoir de l’aide pour sortir de la rue.

(Mot d’un.e jeune)

 

Cadre d’intervention… Aux jeunes de s’adapter // Toute demande mérite une réponse à échelle humaine.

 

Vraiment ? Il y a confusion ici entre rigueur et rigidité. Chaque jeune a des besoins singuliers qui méritent écoute, attention, empathie et un suivi relayé selon ses besoins et son rythme. Le cadre d’intervention est un outil à développer dans la simplicité, en co-construction avec le.la jeune et à sa mesure. De telle sorte qu’il.elle va se l’approprier plus facilement parce que ça lui ressemble, alors que ce cadre constituera, pour l’intervenant.e, un véritable outil personnalisé, riche en informations, favorisant la communication et un soutien davantage adapté à son travail, qu’à des considérations statistiques.

 

Brisé.e.s par l’institutionnel, les jeunes ont développé une grande méfiance

 face aux services offerts.

(un.e pair) 

 

La consommation de substances… Un obstacle aux services ? // Toute demande mérite une réponse à échelle humaine

 

La consommation d’alcool ou de drogues, c’est connu, est généralement un palliatif à la souffrance ou à l’incertitude (Le Breton, 2007). Les jeunes ont un grand besoin de parler, d’être entendu.e.s, de se sentir soutenu.e.s. Ils.elles sont peut-être plus enclin.e.s à s’ouvrir ou à demander de l’aide lorsqu’ils.elles ont consommé ? Or, plusieurs services refusent les personnes en état de consommation ou ne tolèrent pas les comportements qui lui sont associés. Renvoi à la rue ?  Peut-on réellement parler d’accueil inconditionnel ? (Rivard et al., 2019). Comment les jeunes peuvent-ils.elles créer un lien de confiance avec ces ressources et leur personnel qui les condamnent à la rue alors même que leur vulnérabilité est exposée ?

 

Conclusion

Cette recherche participative, proche de la recherche-action, s’est intéressée à documenter et à comprendre ce qu’ont vécu les jeunes en situation d’itinérance, de précarité ou de vulnérabilité, au moment où sévissait la pandémie COVID-19. Malgré les obstacles rencontrés – notamment ceux liés à la difficulté de rejoindre les jeunes, confiné.e.s on ne sait où puisque plusieurs organismes avaient fermé leurs portes – le rôle de co-chercheur.e des pairs s’est juxtaposé à celui de rapporteur.e-clé, révélant des informations au plus proche des jeunes pour saisir, dans un tel contexte, leurs besoins et ce qu’ils.elles ont vécu.

 

On peut faire l’hypothèse que les données de cette recherche, explicitement reliées à la période de la pandémie – laquelle drainait son lot de problématiques déjà installées en amont – sont transposables au contexte actuel où les milieux d’intervention font face aux conséquences de cette crise sanitaire, génératrice de jeunes aux profils variés, présentant des difficultés plurielles et un grand besoin d’écoute et de soutien.

 

Au moment où rien ne va plus, où la question de l’itinérance est sur toutes les lèvres (Gerbet, 2023a), où les jeunes, isolé.e.s, anxieux et anxieuses ou en mal de vivre, sont rapidement happé.e.s par  la consommation, les dépendances, la violence, la criminalité et la prostitution, il faut se donner les moyens d’offrir une réponse rapide et des services adaptés à leurs besoins : accueil; écoute; empathie; accompagnement, espaces sécuritaires, c’est ce qu’ils.elles demandent. Les conditions postpandémie qui prévalent imposent de repenser non seulement le phénomène des jeunes qui vivent des difficultés mais de repenser aussi les modalités d’intervention.

 

Dans la tradition des recherches participatives, ces résultats seront largement partagés aux instances, organismes, personnes concernées par la question jeunesse.

 

* Nous regrettons mais ce signet n’est pas disponible pour le moment. Vous pouvez toutefois le visualiser assez bien dans le dépliant.

 

Références bibliographiques

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